Un chocolat au goût amer

Pourtant si doux…

Les Suisses et Suissesses restent très friand.e.s du chocolat, comme en témoignent les 10.4 kg consommés en 2019 par chacun et chacune d’entre nous. Pourtant, le mode de production du cacao, ingrédient essentiel à la production de chocolat, reste peu connu du grand public et recèle de nombreuses zones d’ombres. Le travail des enfants dans les plantations de cacao reste pourtant toujours une problématique centrale qui refait surface régulièrement dans les médias. En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, cette sombre réalité s’est même exacerbée durant la crise du COVID-19, le pourcentage d’enfants travaillant dans la culture du cacao ayant augmenté de 16 à 19.4%.

Ainsi, énormément des chocolats consommés habituellement en Suisse, comme par exemple le chocolat Lindt crémant, a un impact social dans les pays producteurs très problématique. Quant à l’aspect environnemental, l’agriculture conventionnelle, les produits phytosanitaires et les monocultures, de mise dans la grande majorité de la production de cacao, mettent à mal la bonne santé des eaux, du sol et de la biodiversité. Au Ghana, deuxième producteur mondial, plusieurs pesticides d’origine synthétique sont encore actuellement distribués gratuitement par les autorité. Toute la communauté sur place en subit les conséquences.

 

L’agroforesterie au secours des producteurs et productrices

Il existe pourtant d’autres modes de production possibles. Soutenus notamment par Biovision, plusieurs études et projets ont montré l’utilité de l’agroforesterie dans la production de cacao. Dernièrement, un nouveau système, appelé agroforesterie dynamique a été testé sur plusieurs parcelles au Ghana. Cette technique vise à développer des systèmes d’agroforesterie à plusieurs strates, mélangeant entre autre le cacao avec des bananes plantains, des arbres à noix de cajou, du manioc ou encore des avocats. Car si le cacaotier a besoin d’humidité et de chaleur pour pousser, il supporte en revanche très mal la sécheresse durant ses jeunes années. Ainsi la mortalité des jeunes plants demeure un véritable problème pour nombre de producteurs et productrices. C’est pourquoi la technique propose d’associer des arbres ayant différentes hauteurs et fonctions comme par exemple les bananiers, protégeant le cacao du soleil tout en fournissant des plantains, aliment essentiel dans la cuisine locale.

Ce système permet ainsi une diversité aussi bien économique que biologique, garantissant sécurité alimentaire et résilience pour les familles productrices de cacao. Cette méthode n’est pas particulièrement novatrice mais elle remet sur le devant de la scène des pratiques traditionnelles balayées par les injonctions, entre autres, du marché international et de certains représentants des autorités ghanéennes, de recourir à une production intensive s’accompagnant d’une utilisation poussée de produits phytosanitaires de synthèse.

La réalité du terrain

Si ce projet en phase de test semble prometteur, des aspects pratiques restent difficiles à mettre en œuvre, comme notamment l’accès aux plantons des différentes plantes censées composer ce système d’agroforesterie. En effet, bien que difficile à imaginer depuis la Suisse où l’on peut avoir accès à tout en quelques clics, se procurer ces plantes se révèle être en réalité très difficile pour les producteur.trice.s : pour des raisons financières certes mais surtout d’un point de vue logistique, les plantons étant produits uniquement dans une région bien précise du Ghana. La plupart de la population n’ayant pas de moyen de transport privé, ces jeunes plants demeurent donc inaccessibles pour tout.e un.e chacun.e.

L’accessibilité, point névralgique des labels et certifications

Au Ghana, beaucoup de ressources sont difficiles d’accès mais également beaucoup de villages et ainsi les agriculteur.trice.s. Ce dernier point est critique, particulièrement en raison de l’importance de la traçabilité pour de nombreux labels du commerce équitable, comme par exemple Fairtrade (Max Havelaar) ou UTZ. De récents reportages mettent en lumière cette problématique, concernant notamment UTZ pour ne citer que cette certification : le manque de contrôle et des lieux de productions reculés résultent trop souvent dans des plantations usant de main d’œuvre infantile (ces aspects sociaux impactent négativement l’évaluation de la durabilité du chocolat Frey UTZ dans le shop en ligne CLEVER).

Sans approche directe aux acteurs et actrices résidant à la base de la chaîne de production, il est impossible de garantir un cacao respectant l’humain et l’environnement. Fairtrade (Max Havelaar) par exemple, préconise notamment des producteur.trice.s de cacao de renoncer à utiliser des pesticides hautement toxiques ainsi que l’obligation de porter des habits de protection lors de l’application de tous phytosanitaires. Or, durant un interview [source personnelle de l’auteure], un responsable d’un point de collecte du cacao Fairtrade produit dans différents villages reculés de la région Ahafo, confiait ne pas savoir quels sont les produits phytosanitaires utilisés ni quel.le agriculteur.trice précisément en faisait usage. Les habits de protection représentent quant à eux un luxe plutôt utopique pour ces dernier.ère.s.

Les labels et certifications, instruments cruciaux du marché globalisé

Il ne s’agit pas de décrédibiliser les labels du commerce équitable ou de dissuader les gens d’acheter des produits labellisés ou certifiés, bien au contraire : les labels, certifications et marques sont importants pour garantir notamment un revenu minimum aux producteur.trice.s et ainsi assurer un filet de protection face aux aléas du marché. Au Ghana par exemple le label Fairtrade (Max Havelaar) a permis de soutenir différents projets dans l’éducation et la santé, en insistant particulièrement sur le rôle des femmes.

Il existe également d’autres labels ou certifications du commerce équitable un peu moins connus du grand public, comme par exemple le label claro. Cette entreprise suisse applique les principes de la filière intégrée qui permet de retracer avec précision toutes les étapes entre la cultivation et la consommation du bien, encore davantage parfois que dans le cas d’une filière certifiée ou labellisée. Un des 5 conseils CLEVER encourage d’ailleurs à identifier la présence ou non de labels et certifications sur les produits, les comprendre et les favoriser lors d’achats.

Reprendre la main sur sa consommation

Encore plus essentielle que les labels, la prise de conscience de la réelle valeur des aliments que nous consommons est aujourd’hui primordiale. Nombre de nos habitudes alimentaires sont basées sur des produits impossibles à cultiver chez nous et ayant nécessité beaucoup de ressources à leur élaboration. Si consommer du chocolat en Suisse est devenu banal, il reste pourtant souvent inabordable pour ses producteur.trice.s sur place. En outre, plus la distance du sol à l’assiette est grande, plus il y a d’intermédiaires et moins il est possible de savoir exactement ce que l’on consomme.

Il faudrait toujours garder à l’esprit que chaque carré de chocolat que nous savourons provient notamment de cacao qui a été cultivé, écabossé puis fermenté peut-être par Liberty (photo), Lucy ou Bismark à des centaines de kilomètres d’ici.

A propos de l’auteur : stagiaire biovisionnaire – du cacao à la bière

Je suis Delphine, stagiaire depuis mars du nouveau bureau Biovision en Romandie et travaillant principalement sur l’activité de sensibilisation à la consommation responsable CLEVER. Originaire d’une famille d’agriculteur.trice.s, les questions liées à la production et à la consommation de denrées alimentaires m’ont toujours passionnée et ont servi de fil rouge durant mon parcours universitaire : de mon Bachelor en agronomie à l’École Polytechnique Fédérale de Zurich à ma thèse de Master portant sur la compaction des sols agricoles. Dans ce cadre-là, j’ai eu la chance de faire un stage très enrichissant de 5 mois au Ghana, notamment dans les systèmes d’agroforesterie dynamique de cacao. A mon retour, déterminée à mettre en pratique mes acquis universitaires, j’ai cofondé une microbrasserie portée par le concept d’une bière 100% locale et biologique ayant pour but d’utiliser dans un futur proche uniquement les matières premières provenant d’une ferme du canton de Vaud. Empruntant les circuits courts et coopératifs pour la mise en vente, nous ne sommes pas loin d’une bière biovisionnaire…

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